Processionnaires

Posté par Nico dans Voir - 2 juin 2022 16:30

Rien n'arrête l'eau. A Saint Malo, on croit qu'une forêt plantée sur deux rangs en quinconce devant les parapets brisera un tant soit peu l'énergie des marées. Mais la ville est assiégée par les vagues à chaque équinoxe, et les forts coefficients de marée sont de plus en plus redoutés. Reste la beauté presque spectrale de ces géants. D'autres en feraient une installation artistique, les malouins en font les sentinelles de leur ligne de défense. Buzatti aurait sûrement adoré.

Habiter certains lieux prépare, ou endurcit, ou adapte, ou habitue, à la violence. A Saint Malo, la violence est naturelle, et d'intérêt touristique. Quand on est terrien, on peine à croire les vidéos réalisées lors de ces grandes marées, de ces tempêtes centennales. Mais si, effectivement, c'est ainsi, et c'est normal, trois à quatre fois l'an, ni plus, ni moins violent. Qu'il y a autant de morts, chaque année. Trois ou quatre... touristes. 

Et aux avant-postes de cette vaine résistance, il y a ces troncs, bruts, fichés profondément, façonnés par l'eau, le sel, le vent, profondément balafrés, magnifiques, dérisoires, martyrs, mutiques.


Côtoyer cette fraternité, la nuit tombée, a quelque chose d'émouvant, et de triste. Où vont tous ces processionnaires ? Ces corps tordus, se cherchant ou se fuyant, que murmurent-ils ? A quelle manifestation, quelle rencontre, quel combat, en quelle église se rendent-ils ? Les troncs de la plage de Saint Malo sont irrépressiblement inspirants.


Ce sont des orphelins déracinés, des mémoires arrachées, des souffrances tues, des amours infécondes, des regards perdus, des dos tournés à l'horizon, des flagellants un jour de dévotion.

Leur solitude est belle pour la solitude de l'autre. Leur immobilité est un refuge. Leur incongruité, un imaginaire. Leur silence, la nuit, assure la sérénité des noctambules.

Sur une plage, dos à un mur, sans racine et sans branche, nourrissant les rêves de toute la faune, à quel infime désir un arbre peut-il s'abandonner encore ? 

    

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