La Fracture-La Course

Posté par Nico dans Lire - 21 décembre 2020 11:29

Ce billet a été entamé en octobre. Pourquoi y a-t-il des résumés qui se refusent ? Des enthousiasmes qui ne se laissent pas saisir ? Des voyages qui ne se laissent pas raconter ?

La difficulté à s'exprimer sur les livres de Nina Allan vient de ce qu'ils sont impossibles à raconter "rationnellement". L'objectif même de l'autrice est de créer ces failles d'espace et de temps où l'on va perdre ses héros et se perdre soi-même. Ça marche avec la Fracture, évidemment, mais aussi bien avec La course.

Tout d'abord, comment on en vient à lire ce livre ? Parce que Charybde est une référence, et que Charybde a aimé. Puis Tristram a eu l'inspiration de l'année pour la couverture, une de plus belles de ma bibliothèque. Et puis il y a que els récits de Nina Allan ne sont pas présentés comme de la SF, ou alors comme quelque chose de très doux, une SF de voisinage, certains aimeraient sûrement l'idée de "dystopie". Hors, il s'agit vraiment de SF, il y a des aliens, des mondes parallèles, des voyages spatio-temporels... mais ce n'est vraiment pas la priorité. Et c'est ce qui en fait des livres bouleversants, voire perturbants.

La Fracture se passe de nos jours, dans une ville anglaise plutôt stéréotypée, post-ouvrière, en briques rouges. Les personnages sont une middle-class prolo, genre salariés de grandes surfaces, esthéticiennes... Et c'est parce qu'ils n'ont pas l'étoffe des héros qu'elle n'en fait pas des héros, mais simplement des personnages refoulant la réalité jusqu'à la dernière page. Des personnages qui nous laissent avec leurs doutes.

Une jeune fille disparait en plein été après s'être pris la tête avec sa mère. Personne ne la reverra. Le couple explose, mais de toute façon il était programmé pour ça, la sœur qui reste s'en veut de ne pas avoir dit quelque chose pour la retenir. Meurtre, fugue, enlèvement... On n'en saura jamais rien.

Vingt ans plus tard, un coup de fil. La sœur disparue revient. Le père est mort après avoir cherché sa fille partout, ayant même exploré la piste extraterrestre. Hors, cette femme prétend, comme par hasard, avoir été élevée dans un monde extraterrestre. Toute à la joie de retrouver sa sœur, Julia n'aura de cesse de douter de ses paroles, et de prouver ou contredire tout ce qu'elle va entendre de cette inconnue. D'autant plus que la mère ne la reconnaîtra jamais.

La fracture est là : dans le doute persistant, entre les évidences et les impossibilités, dans la joie et les angoisses, et Nina Allan distille jusqu'à la dernière page des indices qui ne sont jamais des preuves, des espoirs qui sont des frustrations. Mais il y a là une jeune femme qui est là, qu'on aimerait reconnaître mais la vérité est tellement grossière qu'on n'est interdit de le faire du début à la fin.

Dans La Course, c'est par la construction même du récit que Nina Allan nous renverse. Quatre nouvelles, une mise en abîme de l'acte d'écrire, des errements temporels de plus ou moins cinquante ans... Un femme écrit l'histoire de son frère, qui fait des courses de lévriers augmentés, dans un futur proche mais post-apocalyptique. Ces chiens sont guidés par des entraîneurs via une puce implantée dans leur cerveau. Hors, la fille de cet homme est enlevée. On parle de dettes dues à une mafia, mais il s'agit plutôt du don de l'enfant : son empathie naturelle avec les animaux, sa capacité (précieuse) à contacter toutes formes de langages.

Deuxième temps, une femme raconte sa vie, de nos jours, et comment son histoire familiale violente fait qu'elle aime écrire des histoires, et notamment sur des villes futuristes post apocalyptique... On retrouve des noms, des rues, le transfert est facile entre sa vie et les projections qu'elle fait dans ses livres. Les deux dernières histoires vont encore plus loin, une enfant élevée pour ses dons aide un programme de détection des vies extraterrestres, une vieille écrivaine est contactée par l'ex d'une jeune femme disparue, tous les éléments racontés auparavant s'enchevêtrent.

Pour la première fois depuis longtemps, j'ai relu le livre une seconde fois pour être certain qu'elle nous enfumait sans vergogne. Et en effet, Nina Allan ne se gêne absolument pas avec l'incohérence historique, avec cet air de dire : tu feras ce que tu veux de l'histoire que je te raconte, mais moi, voila ce que je sais. La fiction portée à son paroxysme. Alors je ne tenterai pas de résumer d'avantage, parce que ce genre de fiction prête à gloser incessamment, c'est même probablement son objectif : on peut en faire un interprétation permanente. Une réécriture. Un livre qu'on ne finit jamais de lire ni d'écrire.

Et là, à contrario, la couverture de livre la plus moche du monde... Mais c'est si peu de choses.

Nina ALLAN : La Fracture, Tristram

Nina Allan : La Course, Tristram

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