Confluences monstrueuses

Posté par Nico dans Lire - 17 décembre 2019 12:39

Besoin de tissus d'ameublement. Direction le marché Saint-Pierre. Évidemment, visite de l'exposition voisine, à la Halle Saint-Pierre. Lieu de quelques souvenirs, lieu d'art brut sans concession, venir ici m'a toujours profondément remué. Des expositions, désormais lointaines, avaient explosé pas mal de mes idées reçues et "grandes théories de petit monsieur" sur l'art. Dans ces semaines précédant Noël, l'installation d'une librairie éphémère double le plaisir et les percussions.

L'expo Roger Ballen est particulièrement perturbante. Aux photos et installations de l'étage s'ajoute une grotte, au rez-de-chaussée, mélange de grenier recomposé, de cabinet de monstruosités, de bricolages fantomatiques, de grognements ténébreux. "Du vivant sur du mécanique", pour anti-para-phraser Begson, et retourner sa proposition sur le rire : ici, une tête plantée sur une pique sera toujours édifiante.
L'art, dans tout ce qu'il a de déséquilibre et de résistance, vient bel et bien nous chercher dans nos peurs irrationnelles, nos incompréhensions, nos fractures : Roger Ballen bat en brêche notre raison. 

Mais avant cela, une longue déambulation dans le patio, profitant de la librairie éphémère "les éternels FMR" réunissant 70 éditeurs indépendants aurait dû éveiller l'instinct : il n'allait être question que de fantômes et de monstres. Tout d'abord je discute avec celui qui, assis derrière une table, assure l'accueil et la caisse. Il s'agit, je l'apprends vite, de Jean-Luc d'Asciano, auteur du livre que les enfants m'ont offert pour la fête des pères : Souviens-toi des monstres, dont la lecture, style volontairement ironique et baroque, m'a énormément posé question.

Affaire de monstres, d'onirisme et de cauchemars (on n'est pas toujours très loin de l'atmosphère de Ballen), puisque l'on suit deux frères siamois qui vont jouer de leur difformité pour imposer leur influence dans une Italie entièrement recomposée, accumulant les situations et les personnages les plus loufoques qui soient.

Puis, quittant le site avec quelques livres sous le bras, je découvre quelques heures après que ma version du Tractatus Solitarius de Pierre Cendors, est elle-même un monstre, le titre, sur la couverture et le dos, portant une coquille assez improbable : TractaCus Solitarius. Au-dela de cette singularité, les illustrations dont le livre se pare me replongent là-encore dans le monde de Ballen : ouvrant le chapitre 2 , intitulé "le nômade", une illustration de Christine Sefolosha renvoie évidemment à certaines photos solarisées de l'expo, dont celle faisant office d'affiche.

Et ce texte, sorte de réflexion poétique à partir du Loup des Steppes, de Hesse :

"Qui, aujourd'hui, est prêt à se rendre nulle part ? Aucun homme en possession de sa raison, ou pour mieux dire, aucun homme possédé par sa rationalité n'esquissera là même, le premier pas, de crainte de céder à l'errance."

Pierre Cendors, Tractatus Solitarius, ou le retour du loup des steppes, L'atelier contemporain

Ces monstrueuses convergences, tellement improbables, sont assez enchanteresses. Sentiment de m'être promené dans un conte de fées.

Les deux reproductions suivantes, gravures de Christine SEFOLOSHA ont été prises sur le site : www.en-attendant-nadeau.fr

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