Des visages, des figures

Posté par Nico dans Voir - 20 août 2016 15:01

D'autres visages..
Il y en a eu des dizaines qui ne sont pas tous denses même s'ils restent mémorables. Les suivants n'ont pas été que croisés. Eux et moi nous sommes arrêtés, nous sommes regardés. Un rythme, un souffle dans la promenade.
La famille, croisée plusieurs fois le premier jour, autour des lacs. Nous discutons au-dessus de la carte, essayons de nous mettre d'accord sur l'erreur de tracé manifeste, plaisantons sur l'incompatibilité du tracé proposé. Fin d'après-midi, profitons de la baignade, et avant de se séparer, question étrange, presque inquiète : "Mais, au fait, ce soir, vous voulez dire que vous ne verrez certainement pas la finale de foot ?"
A la recherche de pain, il est déjà tard et c’est dimanche, je demande à un couple, assis dans le coffre ouvert de leur voiture, profitant de l'ombre avec leur mère handicapée, si j'ai quelque espoir de pouvoir en trouver dans les 3-4 kms à la ronde. Ils me donnent le leur spontanément, dans la plus stricte économie de mots. Impossible de protester, de refuser. Nous discutons, par la suite, de la beauté du lieu, de sa force, et du parfum des prés fauchés sous la chaleur. Ça, c'est plus important.
Le même soir, dans le hameau minuscule où je poserai ma tente : la "communauté" portugaise, hilare, groupée autour de son drapeau dans la petite rue principale, parlant "grand moment" autant que fraternité, l'élu qui m'offre le centre d'accueil au départ des pistes de ski de fond "si si , c'est dans les statuts intercommunaux, il est ouvert au bivouac", la serveuse-cuisinière du restaurant, au bout des pistes aussi, visiblement épuisée mais virevoltant sans jamais s'arrêter du bar à la cuisine et à la salle,  presque ubique, toujours souriante, courant m'ouvrir le centre d'accueil entre deux assiettes de pounti.
Le lendemain, midi, remplissant ma gourde à une fontaine, surgit une jeune Pérette, depuis le bout de la place, du fond d'une cour de ferme, dans sa robe légère. Comme moi, elle s'approche pour remplir son pichet d'eau. Geste ancestral, parce que depuis toujours, c'est là que sa famille prend l'eau des repas, meilleure et plus fraîche. Geste évident, bloqué dans un temps révolu. Je viens de sauter dans un roman de Hugo.
Un couple de cinquantenaires s'esclaffe sans retenue, raillant ses blessures et ses courbatures. "C’est pas beau de vieillir", mais eux le sont tellement beau, rarement entendu rire autant sur un chemin, ni vu autant de complicité et d’attention portée, de "goût pour l'autre" chez un "vieux" couple.
Le soir, la mère et la fille qui tiennent le camping. L'accent très fort, la fille qui remplit les papiers, et la vieille voix fière et claire qui monte soudain de la pièce d'à côté quand elle entend l'origine du département. "La Sarthe, Le Mans". Cette génération a appris ça par cœur à l'école de la République. L'identité du territoire. Ça fait un minimum à dire pour amorcer une conversation. C'est aussi la preuve que toute la tête est là. Le vieux visage, dans sa blouse grise en nylon, assise dans sa chaise en paille, les mains croisées sur sa canne, entre ses jambes, sur le carrelage de petites tesselles multicolores. Là aussi, pénétrer un temps révolu, qui encore occupe comme le brouillard, quelques recoins  où le vent n'est pas allé le chercher.
Les inquiétantes questions, au crépuscule, d'un homme promenant ses chiens. Je ne sais pas trop quoi penser des personnes trop intéressées, et qui passent ensuite se promener trop près de la tente..
Première heure le lendemain, le jeune papa vient préparer le biberon, je finis de ranger mon petit-déjeuner, sous le auvent des douches, à cause de la pluie. Il se renseigne, oui, je bivouaque, ses yeux sont envieux, je me revois il y a plus de vingt ans. Moi aussi j'ai rêvé longtemps de faire ce que je fais aujourd'hui, et j'ai le sentiment que c'est un jeune moi que je vois là, les yeux fascinés, plein d'envie. Je lui dis comment je range telle chose, pourquoi je me suis équipé de telle autre, pourquoi je vais passer là, le facilité de montage de ma tente. Dans son hochement de tête, son sourire qui rêve loin,  je sais que dans cinq ou dix ans,  il aura réussi à se décider, lui aussi. Et peut-être pour plus loin, plus longtemps...
Au milieu du brouillard, puis de l'orage, le jeune couple qui marche en sens strictement inverse au mien. Evidemment, c'est amusant, et toutes nos questions sur le chemins à venir trouvent réponse. Leurs sacs sont immenses, lui s'est équipé en plus d'accessoires photos très encombrants, leurs vêtements de coton sont trempés. Ils ne se départissent pourtant pas ni d'optimisme, ni d'entrain.
Puis les cinq gamins et leur animateur. Ils ont peur, complètement dépaysés, parlent fort, mal, je les entends sans les voir, puis ils hurlent, ils m'ont vu, et je comprends qu'ils ont cru, un bref instant, voir surgir une bête au milieu du brouillard. Et quelle bête : avec un sac à dos et recouvert d'une cape de pluie, la première image doit être impressionnante.

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