Nous sommes fous. Mais il y a tellement de plaisir à prendre dans tout ce qui nous arrive que nous aimons danser en regardant l'effondrement. Nous aimons tellement danser. Nous le ferons de plus en plus vite, de plus en plus mal, sans plus savoir que nous le faisons. Déjà, nous ne comprenons plus le sens des mots que notre bouche prononce en souriant. Nous en aurons enfin fini, quelques uns pleureront peut-être, mais nous partirons malgré tout heureux et sans regret.
Il en faut du temps pour retrouver la voix. Il faut de la morgue, des épines, des mains en sang, un nez qui casse, la pluie qui emporte, la douleur qui ne cicatrise pas, le départ, la pollution dramatique et oppressante de l'air, des rires furieux et des insultes.
Il faut des joies, des surprises, des rendez-vous et des promesses vides, la certitude d'un choix, le plaisir, le regard du doute, l'enthousiasme enfin.
Vivant. Encore. Mutant. Inadapté. Amputé. Décharné. Mais tant que ça hurle, je continue d'en vouloir. Je vous aime, putain, je vous aime. Écorchures, nerfs rouges vifs, tendons brisés, braises, acides.
Les mots croient m'ensevelir sous le poids de leurs pages ? Dans le bocal de ma mer de livres, je n'écris plus. J'entends moins aussi. Il y a un couvercle à lever, une fenêtre à ouvrir. Un mur à tomber. Une peur à domestiquer. Une paresse, surtout. Lutter contre soi, en plus de lutter contre le dégoût.
Il y a des pages que je renonce à aboutir. Des chansons à taire. Des regrets à déchirer. Du temps à prendre, à écraser comme des fruits, a se gaver. Des parfums à te dire, des taches à nous faire, la mort à nous damner, du plaisir, du plaisir, dans le rire, dans l'ivresse, les choix...
Je suis vieux. Autre. Mais je suis vivant, encore : j'écris
Quittées les nationales, les routes deviennent rapidement montagneuses, c’est à dire sinueuses, grises, sonores, granuleuses. Passée la fourche, comme un portail géodésique caché dans le village, la route devient chemin, brouillard, gorge, tunnels. A droite, le torrent. La lumière disparait presque. Il faut plusieurs minutes de montée, sans visibilité, pour la retrouver. L'altitude se montre par les trainées, puis les voiles, puis un film plus tenace de neige fraîche poussé par le vent. Par le brouillard qui se déchire et la lumière incroyable qui nous renverse enfin.