Mamers

Posté par Nico dans Voir - 22 juin 2023 14:33

Et paf, nostalgie.
Je suis vieux, en transition pro, un aller-retour à Mamers aura suffi à faire resurgir quelques souvenirs, symboliques et synthétiques de ces vingt années d'enseignement.

Je sors donc de ce comité qui vient de valider mon financement et ainsi mettre un terme au pénible, laborieux et si long dossier bancaire de la boutique, et je me dirige vers Mamers, pour découvrir la simulation de mes enseignes.

La voix de Liz Fraser m'accompagne et rien que cela suffirait à rendre mélancoliques les pierres de la route romaine qui tire sa droite ininterrompue sur la crête du Saosnois.

Voie romaine

Mon premier poste de remplaçant, en 2001, était un double poste, entre un gros collège de centre ville et un tout petit réduit à Mamers aux étagères métalliques qui étaient des rayonnages de magasinier. J'ai appris deux jours avant d'arriver que le métier pour lequel je venais de signer s'appelait "professeur documentaliste", et que j'aurais donc des classes à enseigner. Exactement ce que je ne voulais pas faire, en choisissant ce métier et non pas celui de prof d'histoire-géo. Tant pis. J'en prenais pour 20 ans, et je m'y suis au final accommodé.
Dans cet établissement (qui a fermé, depuis, c'est récurrent dans ces vingt années, trois mutations pour cause de fermeture), le pensionnat du lycée vivait ses dernières heures, pour le bien de tous, avec son surveillant général qui, depuis un balcon, hurlait ses consignes aux élèves les pus butés que j'ai pu rencontrer, les profs buvaient du rouge à table, et un couloir de la mort menait à une obscure salle des profs fumeur, portes et fenêtres jamais ouvertes, à la tapisserie (toute de vagues fleuries en velours pourpres, noires et blanches) imprégnée des odeurs de cigarettes à vous soulever le cœur.
Dans cet établissement,dans lequel j'ai dû prendre rendez-vous avec le chef d'établissement pour justifier la nécessité d'achater trois dictionnaires, j'ai pourtant trouvé un livre de Kawabata, Les belles endormies (pourquoi ce livre, pourquoi ici ? Parfaitement inadapté) et je suis immédiatement devenu fou du romancier japonais. 

Et puis j'ai rapidement pris la voie romaine pour aller travailler (surtout pour revenir du travail, les beaux jours, parce que ce n'est pas vraiment un raccourci, sauf à aimer défoncer ses amortisseurs et ses pneus). Sur la route qui mène de Fresnay à Mamers, un lieu-dit nous oblige à ralentir. S'ensuivent quelques courbes, une succession de villages, des croisements... Mais en regardant tout droit, on voit cette ligne s'élever sur les légers reliefs du saosnois, et il n'en fallait pas plus pour me donner envie d'y rouler.
Les quelques kilomètres de crête aérienne de la voie romaine sont devenus mon moment à moi, je les ai photographiés avec mon petit 6x6 expérimental dont je développais moi-même les photos, j'ai cherché un coin d'ombre le long des rares haies pour y faire des siestes (aujourd'hui encore il m'arrive de faire une sieste entre Teloché et Yvré, en revenant du travail), j'ai attendu que les orages crèvent, j'ai aimé l'ondulation et l'odeur des blés, le changement des couleurs... Mais, paradoxal, je n'aimais déjà pas faire la route. J'ai toujours abhorré rouler pour aller travailler. Ça m'aura tenu plus de 20 ans malgré tout.

Et depuis, chaque fois que je passe devant l'embranchement, je propose de prendre cette route patrimoniale quasi oubliée où deux voitures ne peuvent pas se croiser. Alors quand je suis seul dans la voiture, l'évidence est là. 

Et puis... avec ou sans Liz Fraser, Mamers sonne surtout comme une nostalgique grotte musicale recelant autant de souvenir que la route qui y mène. Mais c'est assez de ressasser, on en devient ennuyeux.


...putain de ligne de basse...

Et cette envie de réécouter Kate Bush...

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