Babel -5-

Posté par Nico dans Voir - 9 juin 2023 14:29

Les tours de Brueghel. Comparaison, signification et critique de ces analyses. Parce que, vraiment, ça me tourne en rond dans la tête depuis un moment, ça tourne à la fascination, et surtout, ça gratte un peu de lire n'importe quoi sur le sens de ce texte..

Qui ?

Tout d'abord, de qui parle-t-on ? Parce que des Brueghel, peintres de la Renaissance, ce n'est pas e qui manque.  Pieter Brueghel, (1525-1569), dit l'ancien est celui qui nous intéresse. C'est aussi le plus connu de la famille. Il peint beaucoup de scènes villageoises au fil des saisons, de détails, et c'est toujours ce qui m'a plu chez lui, pouvoir promener le regard du détail au général, sans jamais se lasser. Ses scènes villageoises sont des quasi-archives d'us qui seraient perdus sans elles, parce que l'art ne s'intéresse pas ou si peu au quotidien.


(Incidemment, Brueghel l'Ancien est donc l'inventeur de "Où est Charlie ?")

Les deux tours

On retrouve le besoin d'imprégner ses œuvres de son quotidien jusque dans ses scènes bibliques. Ainsi en va-t-il des deux Tour de Babel. La première, plus claire, ressemble à un volcan égueulé. Elle évoque par son accumulation basique d'arches et son avancement anarchique les limites d'une maîtrise technique, mais surtout d'une maîtrise d'oeuvre. Pour bien faire ressentir l'endroit où grouille la vie, le peintre choisit de concentrer dans les entrailles de sa tour les couleurs chaudes. On pense aux ruines du Colisée, aux encoignures des prisons de Piranese, aux arcatures de Chirico.

La seconde est beaucoup plus édifiante. Le cylindre est plus régulier, la répétition des arcades plus stricte et austère, l'obscurité plus présente. le format plus "vertical" accentue le vertige. Ses étages inférieurs ne menacent pas ruine. Il y a plus de maîtrise dans un projet encore en cours. La répétition des motifs renforce l'absurdité du projet. Brueghel adore les détails, alors on s'approche du tableau pour comprendre la raison de ses deux grands "coulures" verticales, blanchâtre et rougeâtre : des zones de déblaiement (ce qui laisse entendre que le chantier tourne toujours).

Brueghel transcrit chaque fois le texte dans une ville hanséatique, pas de plaine désertique, il faut critiquer son époque, donner à voir son temps, d'où la logique d'une critique des puissants du seizième siècle, des guildes unifiées, des royaumes ambitieux. Citons Wikipedia : "La peinture est censée représenter les dangers de l'orgueil humain, mais aussi l'échec de la rationalité face au divin. C'est aussi une allégorie du fier empire international des Habsbourg basé sur une foi unifiée, et constitué de banquiers, de ministres, de clercs, de soldats et de penseurs humanistes sycophantes soumis à un tel projet." (on saluera l'exercice de style qui consiste à placer le mot sycophante)

Agacement

J'aime que l'art critique les puissants. J'aime cette analyse. Mais revenant au texte initial, il y a une erreur, généralisée lorsqu'il s'agit d'analyser Babel qui m'agace toujours au plus haut point. Si je relis le texte publié dans l'article Babel -2-, la construction n'est pas l'échec des hommes, technique ou langagier. Ils ne sont pas victimes de leur ambition, de leur aveuglement, de leur vanité, comme on nous les décrit ici encore.

Les hommes parlent le même langage. Ils construisent une tour. Le chantier progresse. Ils peuvent monter jusqu'au Ciel. Il n'y a aucun obstacle à leur projet, si ce n'est Dieu lui-même. C'est Dieu qui décide que ce n’est pas bon pour lui et décide de les en empêcher. 

En fait, par Babel il faut comprendre : si Dieu n'intervient pas, Dieu n'existe pas.
La belle invention.

Pour finir...

Je suis fan absolu de la première version. Elle ressemble à l'image que je me fais, depuis toujours, d'un être humain... Une tour qui se construit et monte absurdement sans interruption tout au long de sa vie, construit de petites briques et de belles pierres, tout en irrégularités, plutôt fragile, rempli de beaux motifs autant que de trous, de vides, de béances, d'obscurité, étayé pour ne pas s'effondrer. Un truc inutile, voué à disparaître, vaniteux, incompréhensible. Plein de vie, quoi.

Je me souviens avoir été en arrêt très longtemps devant, à Vienne, avant qu'un gardien peu amène me demande de m'éloigner alors que je m'étais approché trop près, absorbé par toute l'activité fascinante qui anime la peinture.

reproduction des tableaux : Wikipedia

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