"Coûte que coûte...

Posté par Nico dans Ecouter - 3 mai 2022 10:09

... Vaille que vaille
Demain nous n'irons plus au travail !"

J'ai vu Thibault Derien. A Nantes. Au salon "L'art est aux nefs", sous les nefs des machines de l'île. On allait voir Tigran Hamasyan en soirée, j'ai proposé qu'on se promène sur l'île avant. Il faisait beau, c'était blindé de monde.
Et dans une des cellules bâchées (que c'est laid !) il y avait Thibault Derien, dont je vois le nom épinglé sous un tableau. Je le regarde : "Vous êtes Thibault Derien, le chanteur ?"
"Oui, enfin, c'était... il y a un moment".Ha oui, De Rien, puis Thibault Derien, ça fait déjà vingt ans. En fait, c'est l'époque où je me gavais des Casse-Pipe, Bertrand Louis, Zézé Mago, tous les mecs qui écrivaient bien, mélancoliques, ironiques, contestataires, intellos probablement,bobos aussi, rapidement portés au pinacle et aussi rapidement oubliés, pour leur difficulté, et celle de leurs éditeurs, à pérenniser une carrière au moment où l'industrie du disque s’effondrait...

Pour moi, Derien, c'est ça (et les enfants l'ont chanté dans la voiture bien des fois, ça forge des convictions). Un vrai mantra !

Aujourd'hui, c'est ça :

Nous avons échangé quelques minutes. On a évoqué la mélancolie des ses clichés, en résonance avec sa musique. D'ailleurs, cette série "J’habite une ville fantôme" est née de son temps libre, en tournée, pendant que ses musiciens faisaient les balances, à élaborer un catalogue d'archives et d'émotions devant ces façades qui racontent un autre temps (ce qui ressemble certainement le plus à notre enfance, car nous les avons vues ouvertes, ces boutiques. Dès lors, qu'y a-t-il derrière ces silences, derrière ces murs ? Quelle tristesse avons-nous laissé derrière ? Quelles limbes renferment-elles ?).

Il évoquait ce à quoi j'avais aussi fait face quand j'étais correspondant de presse : la difficulté pour les municipalités d'assumer la désertification, leur inéluctable échec dans la dynamisation des bourgs où ne demeurent que des souvenirs, et des façades comme de la vie morte béant sur la rue. Lui, ses expositions n'ont pas pu voir le jour dans ces villes-là. Moi, un article illustré d'une façade abandonnée m'avait valu des commentaires en rafale.

De sa collection, il y avait sûrement des clichés plus impactants. Celui-ci me parlait cependant, parce qu'il me renvoyait en Bretagne, dans ce petit village où j'ai passé tant de vacances, et où j'ai vu les façades se murer, s'empoussiérer, s'écailler, s’affadir, et les bruits des métiers disparaître de la rue jusqu'à laisser le silence aux seuls cris des martinets. Et souvent, dans ces pas de portes sans repreneurs, apparaissait finalement une seconde fenêtre en fond de vitrine, avec ses rideaux ouvragés. Le magasin converti en salle à manger gardait souvent son pavage de petits carreaux mouchetés, des plantes fortement rustiques occupaient la vitrine convertie en mini-serre exotique.

J'ai vu Thibault Derien. J'ai parlé, à certains moments je crois, avec la nostalgie. Ou la mélancolie ? Diable, c'était quelque chose de vieux et fatigué, en tout cas. Un plaisir très partagé quoiqu'un poil navrant.

Thibault Derien, c'est bien plus que la série Ville Fantôme que j'évoque ici. Mais dans toutes ses séries, il y a un vide, un creux, une perte, un silence. Un manque à traquer, et à ne surtout pas remplir.

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